Les élèves de terminale HLP sous séquestre au Théâtre Aux Croisements

Le 30 janvier, dans le cadre d’une sortie enrichissante, les élèves de terminale spécialité HLP du Lycée Notre-Dame de Bon Secours, conduits par leur professeure de littérature, ont assisté à la représentation de la pièce Le papier peint jaune, adaptation théâtrale du récit The Yellow Wallpaper traduit en français sous le titre de La Séquestrée, de l’Américaine Charlotte Perkins Gilman, au Théâtre Aux Croisements,  de la Compagnie Paper Doll (coproduction Théâtre Aux Croisements et Silvia Monfort, Paris).

Ce texte, au programme de littérature, tout autant étonnant qu’émouvant, réaliste, tragique et teinté de fantastique, soulève les questions cruciales de la condition des femmes et de la maladie mentale : dans une grande maison coloniale de l’est américain, une jeune femme et son mari louent une maison pour y séjourner avec leur nouveau-né. À l’étage se trouve la chambre d’enfant au papier peint jaune abîmé. C’est là que Jane passe l’intégralité de son séjour à l’écart du reste de la famille, condamnée à une « thérapie du repos » par son mari médecin.

La pièce, composée d’un monologue saisissant, complexe car engageant l’intériorité, a plongé le jeune public dans l’univers angoissant de son héroïne, artiste dont la créativité est étouffée par son époux-médecin autoritaire et les mœurs d’une société encore bien oppressante. Le sujet central de la solitude est rendu sensible dès le début de la représentation : l’absence de cet époux-médecin, paradoxalement point d’ancrage de la folie de l’héroïne puisqu’il la soumet à l’enfermement, permet aux spectateurs de le ressentir concrètement. Interdite d’écrire, la protagoniste représente les femmes de son époque, séquestrée en quelque sorte par leurs devoirs d’épouse puis de mère. La médecine est ici dépeinte comme pleine d’insuffisance et de malveillance, administrant des souffrances à celles qui osent défier les normes, ou ne pas parvenir à y répondre. Ce thème résonne d’ailleurs dans d’autres œuvres plus contemporaines, comme le roman Le Bal des folles, de Victoria Mas, dévoilant aussi la réalité des hôpitaux psychiatriques.

Au fil de la représentation, l’héroïne, semblant forte au début, nous entraîne dans sa dépression post-partum. Le jeu impressionnant de l’actrice et metteuse en scène, Alix Reimer, durant plus d’une heure, nous a mis face à l’enfer vécu. Cloîtrée dans cette chambre par son mari qui la considère folle et nocive alors que c’est justement cet isolement qui renforce sa dépression post-partum jusqu’à la démence, cette femme sombre fatalement dans la psychose : hallucinations, paranoïa, obsessions, sont interprétées avec réalisme, sans fausse note ni caricature. Le décalage entre sa perception et la réalité questionne alors cette balbutiante prise en charge de la maladie mentale, en particulier celle des femmes, enfermées parfois sans raison légitime. Le choix de montrer l’héroïne seule, de ne pas incarner d’autres protagonistes, d’interpréter ce poignant et étrange monologue, renforce solitude et désespoir, et met en lumière le rôle indispensable des relations humaines, et de la création artistique, pour notre salut, notre humanité.

Les choix artistiques de la scénographie ont également marqué les jeunes spectateurs. Notamment le décor, avec au sol un « tapis de poudre » très étonnant, au pourtour encadré, les imposants rideaux, mouvants par les jeux d’ombres et de lumières étudiées, les teintes projetées partout, variées, ont fait surgir une cage, cette prison d’une personnalité divisée et multiple, tandis qu’un autre jeu d’ombres donnait à percevoir une entité surgissant des murs de la chambre, symbolisant ses luttes intérieures. En outre, l’ajout de sons, parfois inquiétants, lugubres, ont pu leur rappeler certaines œuvres cinématographiques de David Lynch, ses atmosphères insolites, sondant une intériorité énigmatique, insaisissable, en métamorphose.

Cette approche théâtrale audacieuse du texte narratif de Charlotte Perkins Gilman écrit en 1890 nous a fait les témoins silencieux de la souffrance de l’héroïne et a permis de mieux la comprendre, offrant une réflexion profonde sur la dépression, la folie, l’isolement et la quête de liberté.  Elle a surtout permis aux élèves d’interroger encore les « Métamorphoses du Moi », thème au programme de leur spécialité HLP, tout en accueillant la puissance du théâtre comme moyen d’expression artistique universel. Une expérience inoubliable qui, espérons-le, marquera les esprits et incitera à réfléchir encore à la condition des femmes à travers les âges.

V. Lagoutte (sous la correction de Mme Stoëhr)

L’actrice et metteuse Alix Reimer lors du bord de scène :